Espace galerie Ecriture de Sylvie Royer - Artsweb les galeries des artistes artswprod.com

Naître... pourquoi, pour qui ?
Affronter les douleurs et le vide et le froid pour combler quel manque en devenant le miroir de quelle angoisse ?

J'ai eu peur de naître car je crains de mourir. Crever d'indifférence comme ce clochard entre poubelle et porte cochère, avec le caniveau comme rince-doigt et seul océan. Mais choisis-t-on de naître ?
Le désir est souverain, celui de l'autre dont on grandit le reflet en témoin, l'être qui nous a appelé de ses voeux à l'autre bout de la galaxie en caressant fiévreusement son front.

Naître par la conjugaison de forces qui s'ignorent mais se cherchent.
Naître pour toi, ami, qui me parcours des yeux, ballotté dans la rame du métro entre deux rendez-vous ou à l'approche du sommeil, pelotonné sous la couette. Comment nous sommes-nous rencontrés ? On s'en souvient à peine. Un ami m'a-t-il glissé dans ta main ou bien m'as-tu remarqué, timide, à l'étal grisâtre ?

Peu importe, le principal est que nous soyons ensemble un moment. C'est pour cela que j'existe. J'angoisse à mort. Serai-je à la hauteur de ton regard distrait, parviendrai-je à capter un peu de ton attention, à décrypter le sens de tes émois pour jeter sur ta vie un bref rayon de joie ?

Tu me regardes en cherchant cette étincelle d'espoir qui te rendra à ton quotidien semblable mais différent, et je tremble à mesure que tu me dévisages. C'est qu'en voulant percer mon mystère et prendre ce que j'ai à t'offrir, tu ne sondes rien d'autre que la puissance innée ensommeillée en toi.
Une image ou un son que je puisse transmettre et qui réveillera au fond de ta conscience un écho englouti, une richesse inconnue.
Je suis ce détecteur, ce révélateur de tes pouvoirs sublimés que tu quêtes chaque jour. Je suis cet oreiller que l'on baigne de pleurs en se forgeant des heures où le soleil clément réinvente les couleurs.

Je suis ce coquillage porté à ton oreille qui te dira la mer en ses jours de tempête et les rivages lagons des îles de douceur.
Je suis ce coeur qui bat en réchauffant le tien pour lui donner la force d'inventer l'avenir. Je suis l'ombre fidèle de ton âme en chemin, la sébile guettant l'aumône de tes élans, le bâton de pèlerin soutenant tes langueurs.
Et si de temps à autre le feu se raréfie dans l'âtre saturé de suie, il suffira d'un souffle pour que la dernière braise s'envole en une valse de flammes exubérantes.

Quand bien même les ans menaceraient de ruine tes rêves fondateurs, tu me retrouverais encore, préparant le ciment de tes nouvelles villes.
Pourtant je ne suis pas ton but, seulement un pâle moyen de t'y faire parvenir. Moi-même ne vaux rien en dehors du présent où nous nous faisons face. Entre les mains l'un de l'autre, nous menons un jeu équivoque sans gagnant ni perdant.
Ou nous triomphons à deux, ou nous échouons ensemble. Nous voilà partenaires d'un enjeu capital dont dépendent nos destinées respectives.
Et moi je suis muet, voilà pourquoi je crie.